User:Forestier/L'école des femmes

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L'école des femmes

Author: Forestier
Science-fiction. Un homme devenu femme doit s'habituer à sa nouvelle vie.

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«Votre correspondant refuse la communication. Cependant, il vous a laissé le message suivant:

"Bonjour, Étienne.

Comme tu l'as sans doute déjà appris du personnel de la clinique, j'ai finalement changé d'avis. Je n'ai pas changé de sexe. Alors que tu avais déjà commencé ton traitement, j'ai rencontré quelqu'un et j'ai décidé de jouir de mon argent autrement, avec lui. Nous sommes partis vivre dans une autre zone urbaine. N'essaie pas de me rejoindre. J'ai apprécié le temps que j'ai passé avec toi, mais toute bonne chose a une fin. Je te souhaite le meilleur pour ta nouvelle vie. Carole."

Fin du message.»

Je me mis à pleurer. Les infirmières me trouvèrent prostrée dans mon lit et m'injectèrent un calmant.




Cela fait deux jours que j'ai émergé d'un an de sommeil, le temps que nécessite le changement cellulaire de sexe. On m'avait expliqué qu'on m'injecterait des pseudo-virus qui aillaient modifier mon code génétique et d'autres qui allaient provoquer les changements désirés. Après tout, m'avait-on souligné, ce n'est pas parce que mon code génétique prévoit dix doigts qu'un doigt coupé va repousser de lui-même; il ne le fait que grâce à l'utilisation de tels pseudo-virus. Pendant mon séjour en cuve, on m'avait nourri par voie directe, et on avait fait travailler mes muscles de manière minimale.

De manière minimale, bien sûr. J'étais très faible et tout à fait désorientée lorsque je me suis réveillée. À tout dire, je ne savais plus ce que je faisais dans cette clinique et je pouvais à peine bouger. Et les quelques signaux que me faisait parvenir mon corps endolori étaient tellement bizarres que je ne savais même plus vraiment qui j'étais. Je ne comprenais même pas trop ce qu'on me disait.

Après m'avoir aidée à me relever, on m'a nourrie et j'ai pu faire quelques pas, avec de l'aide. Enfin, je crois que c'est comme ça que ça s'est passé, parce que je ne me rappelle plus trop.

Ce matin, bien que faible, j'étais de nouveau moi-même. J'avais recouvré l'appétit, et je me rappelais finalement qui j'étais et pourquoi j'étais là. Carole et moi avions gagné à la loterie, et nous avions décidé de mettre du piquant dans notre vie de couple. Auparavant, nous avions passé beaucoup de temps à vivre des aventures pansensorielles, mais elles étaient tellement limitées et courtes. Et si couteuses. Les plus amusantes, cependant, malgré leurs limites, étaient celles où chacun incarnait un personnage de l'autre sexe. C'était excitait. Même si le retour était, comment dire?... poisseux.

Alors, quand nous avons gagné à cette loterie, nous avons décidé de se la jouer pour vrai. Après tout, nous n'étions plus à cette époque barbare où les rôles des hommes et des femmes étaient distincts et où la femme avait un statut inférieur. Alors, pourquoi pas? C'était cependant un choix difficile — et couteux — et nous avons dû prouver notre équilibre psychologique auprès des experts de la clinique. Mais la curiosité n'est pas un trouble, non?

Je suis donc devenu une femme. Qui plus est, comme on disait autrefois, une «faible femme». Le miroir de ma chambre me renvoie une image qui me rappelle ma sœur (dont la clinique avait pu obtenir le chromosome X paternel qui me manquait). Je caresse mes joues, qui n'avaient pas été glabres depuis mon adolescence. Ma peau est douce. J'essaie ma voix: j'ai toujours aimé chanté, et j'ai déjà fait partie d'une chorale. Je ne me reconnais pas — et il va falloir apprendre les parties de... d'alto, je crois. Les pires!

Puis, après avoir déboutonné ma chemise de nuit, je prends un sein dans une main: une étrange sensation. Je connais certes le contact d'un sein, mais il est bizarre de sentir ce contact de l'intérieur aussi. Je me mets à faire sauter mes seins avec insouciance, comme j'ai vu le faire à Carole, outré de la voir traiter ainsi sa poitrine, alors si attirante et donc si mystérieuse; il est encore plus bizarre de sentir tirailler et rebondir ces excroissances sur ma poitrine. Mes seins sont d'une taille moyenne, et mon profil est assez avantageux, puis-je dire en connaisseur.

Évidemment, ma main s'aventure bientôt le long de mes hanches, puis sur mon pubis, à travers le lin de ma chemise. Je suis avertie du changement, mais on sait que nous, les hommes, mettons tellement de fierté dans notre sexe que... c'est angoissant.

Bien sûr, mon pubis est vide. Que du poil. Et... oui, une vulve s'ouvre plus bas. J'arrête là. C'est trop pour le moment. Ma main continue contre mes cuisses. Ça me rappelle de bons souvenirs... Je sens une drôle de sensation de mon bas-ventre.

Je passe outre et me rassieds sur le lit, laissant mon esprit vagabonder: quelle sera ma vie avec Carole — sans doute est-ce Charles maintenant? De quoi aura-t-il l'air? Serai-je capable d'éprouver du désir pour son nouveau corps d'homme? Je m'endors bientôt, submergée par ces inquiétudes, et sans doute pas encore tout à fait remis... remise du séjour en cuve génétique.

C'est quand on me réveille pour le souper [aux lecteurs: j'utilise la norme québécoise] que je demande comment va la transformation de Carole. L'infirmière consulte sa tablette, mais il semble qu'il n'y ait personne de ce nom en ce moment à la clinique. Elle devrait pourtant être en cuve, non? Elle devait terminer son trimestre d'enseignement avant de pouvoir se libérer. Je demande mon terminal de communication et c'est alors que j'apprends que je devrai affronter mon avenir... seule.




«Alors, on m'a dit que vous n'étiez pas dans votre assiette, hier soir? Avez-vous quelque chose à me faire savoir? me demande le docteur Savard-Carpentier.

— Vous savez, docteur, j'ai entrepris ce changement en étant convaincu que Carole, ma compagne, ferait le chemin inverse. Or, j'ai appris...» je me mets à pleurer, les mots sortent difficilement, «j'ai appris hier... qu'elle était partie... avec un autre... homme.» Les yeux baissés, je regarde mon corps, et je pense: «Pas avec un autre homme, mais avec un homme, tout simplement. Quel con j'ai été! Même si je la retrouvais, on ne pourrait qu'être... amies...»

Le médecin m'observe patiemment. Quand j'ai eu fini de pleurer, il reprend.

«Ouais, je vois. Vous comptiez apprivoiser votre nouveau corps avec votre ex-compagne devenu votre compagnon, et vous voilà, comment dire? piégée dans cette situation. Ouais... J'en glisserai un mot à votre accompagnatrice.»

Mon accompagnatrice?

«Donc, reprend-il, tous les indicateurs montrent que, physiquement, la transformation s'est bien déroulée. Vous êtes devenu... votre sœur, pourrait-on dire. Notre avocat a accompli toutes les démarches nécessaires et vous êtes officiellement devenue Stéphanie Laporte-Johnson, de sexe féminin, bien sûr. Comme vous n'êtes pas née de sexe féminin, nous avons dû vous acheter un droit de grossesse. Vous pourrez bien sûr le vendre si vous décidez de manière définitive de ne pas avoir d'enfant.

Porter des enfants... l'idée m'étourdit.

— Ça va? Je sais, ça fait beaucoup en même temps. Avant toutes choses, il va falloir apprivoiser et renforcer votre nouveau corps. J'en garantis la qualité, dit-il avec un sourire, mais il faut apprendre à s'en servir. Claire?»

Une jolie brunette entre.

«Je vous présente Claire. C'est votre accompagnatrice. C'est elle qui vous guidera dans votre nouvelle vie. Je reste à votre disposition si vous avez des questions d'ordre médical. À bientôt.»

«Au revoir, docteur.» J'ai déjà oublié son nom. Je regarde Claire. Une bien jolie femme.

«Stéphanie, me dit-elle en regardant son dossier, je t'ai apporté... Je peux te tutoyer, n'est-ce pas?

— Bien sûr, Claire.

— Eh bien, Stéphanie, je t'ai apporté des vêtements. Ne t'inquiète pas, c'est temporaire. On va d'abord aller faire un peu d'exercice, puis on va discuter. Déshabille-toi, je vais aller fermer la porte.»

Je me déshabille avec quelque appréhension. Après tout, je n'ai jamais été habitué, en tant qu'homme, à me déshabiller devant des femmes que je connais à peine.

«On va commencer par les sous-vêtements. Voici une culotte.» Une culotte tout simple, en coton, écrue. J'en ai vu, j'en ai enlevé, je n'en ai jamais mis. En la mettant, j'ai l'impression de me couper de mon passé d'homme.

«Pour le soutien-gorge, j'ai apporté quelques paires. On t'a mesurée à la sortie de la cuve, mais il faut toujours essayer.»

Me voilà vraiment une femme. Essayer des soutien-gorge!

«Je sais que c'est serré, tu ne serais pas la première à le dire, mais, comme je te l'ai dit, nous allons faire un peu de sport, et, tu vas voir, c'est finalement plus confortable ainsi. Fie-toi à moi, j'ai plus d'expérience que toi à ce sujet.

— À propos, Claire, as-tu toujours été une femme?

— Oui, bien sûr. Mais j'aime bien être une femme, et je crois que je peux comprendre ceux qui veulent vivre cette expérience. Voilà des survêtements et des sandales. Aujourd'hui, l'exercice se fera nu-pieds.»

Nous nous rendons dans un gymnase tout ce qu'il y a de plus normal. Avant toutes choses, on me pèse et on me mesure: je mesure désormais 1,70 m et pèse 55 kg. Mon Dieu! J'ai perdu 15 cm et près de 20 kilos! Pas étonnant que je me sente faible. J'ai dû vivre sur mes réserves tout au long de la dernière année!

Claire me fait commencer par des échauffements tout simples: bouger mes hanches, mes jambes, mes bras, mon cou! Oh! La tête me tourne facilement. Puis sauter sur place: je comprends vraiment le pourquoi du soutien-gorge.

Elle me demande ensuite de marcher, de courir, de marcher sur une ligne droite. À ma grande honte, il semble que je n'aie plus du tout d'équilibre. Je tombe de la poutre. Je veux essayer le trampoline, mais j'arrive à peine à me tenir debout sur la surface mouvante.

«C'est pas si mal, me complimente Claire. J'ai vu plein de femmes beaucoup plus gauches que toi lors de la première séance. Tu as un nouveau corps, son équilibre est différent de l'ancien. Certaines doivent même quasiment réapprendre à marcher.»

Au bout de quelques minutes, je suis épuisée. Ça fait quand même un an que je n'ai fait aucun exercice physique. Je m'écroule sur le sol.

«Fatiguée, n'est-ce pas? me demande Claire. Ça a été une très bonne première séance. Reste couchée un peu sur ce matelas. Très bien. Tu peux même dormir, si tu le désires. Plus tard, nous aurons à discuter, puis nous irons t'acheter des nouveaux vêtements.»

Bien sûr. Mes anciens vêtements, qui ne me font plus du tout, je les ai donnés ou, pour les meilleurs, mis en vente. Je n'ai même plus de logement — c'est ce qui avait été décidé, et comme Carole... est partie... Je me mets de nouveau à pleurer.

Claire s'assied à mes côté, me relève et me prend dans ses bras.

«Qu'est-ce qu'il y a, Stéphanie? Pourquoi pleures-tu?

— Je pense de nouveau à Carole. Elle est partie. Je suis seule à présent.

— Non, je suis avec toi. Tu verras, tu auras beaucoup de plaisir dans ta nouvelle vie.»

Elle me laisse pleurer sur son épaule.




La séance de magasinage n'est pas trop pénible. Pour ne pas trop me changer des tuniques que je portais auparavant, Claire me fait acheter quelques robes, bien sûr ajustées à mon nouveau corps. Et aussi des pantalons ajustés, des jupes, courtes, bien plus courtes que mes anciens kilts, puisqu'elles arrivent à la mi-cuisse, des tuniques courtes de femme, des t-shirts, des bas et des chaussettes, des souliers de ville, de soirée et de sport — je porte du 23 plutôt que du 29! Un short de sport. Un manteau de mi-saison et un micro-imper. Un maillot de bain. Et des sous-vêtements. Étourdissant! Je refais toute ma garde-robe, certes, mais je ne recommencerais pas ça tous les jours!

Je refuse d'acheter une chemise de nuit. Peut-être à l'automne prochain, quand la température se rafraichira. J'en ai assez porté quand j'étais un homme, même si les chemises de femmes ont une coupe... plus féminine. Je dormirai en t-shirt et culotte. Sans doute un jour dormirai-je nue, mais j'ai du mal à imaginer ce moment.

De même, je refuse d'acheter de ces pantalons à la mode ridicule du XXe siècle, où les femmes singeaient les hommes en portant des pantalons à braguette. J'ai toujours trouvé ridicule les femmes qui en portaient, et c'était un de mes sujets de dispute avec... Carole. Une grande respiration pour ne pas pleurer. Je pleure trop. C'est peut-être dû aux hormones... Les sautes d'humeur des femmes sont toujours dues aux hormones, n'est-ce pas?

Donc, les pantalons. Certains sont élastiques, d'autres ont leur ouverture sur le côté. Voilà. Comme je suis une femme, autant me présenter comme j'ai toujours désiré que les femmes se présentent. Fais aux autres ce que tu voudrais qu'ils te fassent.

Au souper, le docteur dont j'ai oublié le nom s'entretient avec Claire. Je la regarde partir, mes yeux fixés sur son beau petit cul. J'aurais bien le gout de... Qu'est-ce que j'imagine là? Que pourrais-je bien lui faire sans pénis? Je me concentre sur mon assiette.

Au retour, Claire m'annonce que mes progrès physiques sont tels que je vais dorénavant dormir dans le pavillon de première convalescence. Pendant quelques jours, je partagerai ma chambre avec elle. Je me demande si je pourrai dormir avec elle tout près, mais je suis tellement épuisée par ma journée que je m'endors dès que ma tête touche l'oreiller.




Le soleil dans ma chambre me réveille. Où suis-je déjà? Comment se fait-il que je n'aie pas d'érection en me réveillant? Je sens pourtant ma vessie pleine!

«Bonjour, Stéphanie, dit une voix féminine. Je vois qu'un an de sommeil ne t'a pas suffi! Debout, le déjeuner t'attend.»

Tout me revient. Petite crise d'angoisse, mais ma vessie me rappelle à l'ordre. J'aimerais bien coincer mon pénis dans ma main en me rendant à la toilette, mais je n'en ai plus, donc rien à faire. Le siège est baissé — qui le lèverait donc? Voilà, je m'assieds, je me détends et ça coule. Je me rappelle bien les leçons que j'ai reçues la veille: on s'essuie de l'arrière — j'évite de penser que c'est pour éviter de contaminer mon vagin ou d'exciter mon clitoris — et on se lave les mains.

«Prends une douche, Stéph'. Pendant ce temps, je fais monter notre déjeuner. Laisse-moi choisir, je connais tes besoins physiologiques mieux que toi. Et fais attention, le temps d'eau chaude est limitée.»

Que répondre à la voix de la raison? C'est ma première douche. Les jours précédents, ce sont des infirmières qui me lavaient à l'éponge. Je me déshabille et ne peux m'empêcher de me détailler de nouveau dans la glace. J'ai les yeux bouffis, les cheveux châtains courts — on les garde courts dans la cuve génétique — mes seins, ma silhouette, mon pubis, mes fesses, mes jambes. Je suis vraiment une belle femme. Comme je soupèse de nouveau mes seins, je sens de nouveau comme une chaleur entre mes jambes, comme un chatouillis dans mon ventre. On dirait bien... Mon Dieu! Je me trouve moi-même sexy!

Vite, je fais couler la douche et j'y saute! D'abord, un shampooing rapide — avec mes cheveux courts, c'est vite expédié. Puis je prends l'éponge pour me savonner. Je ne puis éviter de sentir la douceur du savon sur mes seins, et, surtout, je ne puis éviter, cette fois-ci, mon entrejambe. Je dois le laver, même si je le sens déjà excitée. Je pense à Claire qui m'attend... Non, c'est pire. Ma main est déjà sur mon clitoris, et je commence à... à me masturber. Après tout, ça fait bien un an que...

Je pense à Claire, à Carole, à ma propre image, et l'excitation monte lentement. Soudain, l'eau chaude est coupée! Merde! C'est froid. Je me rince en vitesse, je sors, je m'essuie puis je noue la serviette au-dessus de mes seins. J'espère qu'il y aura du café!




Plus tard, reprise de mes exercices. De nouveaux, des échauffements, de la gymnastique. Je commence à mieux sentir mon corps, à retrouver mon équilibre. Après la poutre et le trampoline, Claire commence à me faire pratiquer l'endurance et un peu la force. Je dois marcher sur un tapis roulant: malgré la fatigue qui envahit rapidement mes jambes, je trouve l'absence de mon ancien sexe assez confortable. Quand on y pense, un pénis entre les jambes, c'est assez encombrant.

Par contre, la musculation est éprouvante. Claire me fait lever des poids de deux kilos à chaque main. Avant, je levais bien dix fois plus. Eh bien, je peine à bouger avec ces poids minuscules. De plus, pour plein de mouvements, mes seins sont dans le chemin.

Pour terminer, j'essaie de courir un petit peu. Comme je suis ridicule! Je ne peux pas courir droit: mes hanches se dandinent à chaque pas, m'empêchant de courir efficacement. Et toujours mes seins, qui sautent malgré le soutien-gorge. Mais comment font les athlètes féminines?

Après diner, je sors avec Claire prendre l'air dans la cour de la clinique. On y voit quelques patients, comme moi, avec leur accompagnateur. Nous nous installons dans un coin tranquille, et Claire m'interroge sur mon avenir.

«Stéphanie, tu sembles bien progresser sur le plan physique. Ce qui m'inquiète le plus, c'est le plan psychologique. Et, ne le négligeons pas, le plan sexuel.

— À propos, j'ai eu un choc quand le docteur m'a dit que la clinique avait dû acheter pour moi un droit de grossesse. Est-ce que je peux tomber enceinte?

— Oui. Avant de pouvoir te prescrire un implant contraceptif, il devra se passer au moins deux mois. Ton cycle menstruel doit se régulariser. D'ailleurs...» elle fouille dans son dossier... «tu devrais avoir tes règles dans deux semaines. Si tu es pour avoir des rêves érotiques, ce serait ces jours-ci.

— Je me demande bien quel genre de rêve érotique je peux bien avoir, maintenant que je suis une femme. D'ailleurs, comment puis-je savoir si j'en ai eu?

— En te les rappelant. Chez nous, ça ne laisse pas de trace comme chez les hommes. Quant au contenu, je crois que tu es encore attirée par les femmes, alors, conclus par toi-même. Une de mes tâches, d'ailleurs, est de t'amener à éveiller ton désir hétérosexuel. C'est bien ça que tu veux, n'est-ce pas?

— Je ne sais plus trop ce que je veux.» Un élan de tristesse monte jusqu'à mes yeux. «Si les choses s'étaient passées comme... Carole et moi les avions planifiées — enfin, comme je croyais que nous les avions planifiées — bien sûr que j'aurais voulu un désir hétéro. Mais, dans le cas présent...» un frisson me parcourt «l'idée de coucher avec un homme me semble... répugnante.

— Bien sûr. Tu étais un homme 100 % hétéro, dit ton dossier. Mais j'ai un plan pour toi.»




Ce matin, nous sommes allées à la piscine. Oh! L'eau est froide. Je sens comme une brûlure au niveau de mon clitoris, dont je n'ai toujours pas pu m'occuper, la présence de Claire dans ma chambre m'inhibant complètement, et au niveau des mes mamelons. J'ai l'impression que tout le monde les fixes. Claire rit.

«Ah oui, tes mamelons. Ne t'en fais pas. On a toutes l'impression que le monde entier fixe nos seins. C'est parfois le cas, et tu dois bien le savoir, vu ton passé. Mais, le plus souvent, c'est notre célèbre complexe face à notre corps. Tu vois? Tu commences déjà à le partager, tu deviens une vraie femme. Mais laisse tomber. Maintenant que nous sommes dans l'eau, nageons un peu.»

C'est amusant de nager. Je retrouve les mouvements que je connaissais. La mémoire du corps, ça existe, et même si je parle de mon «nouveau corps» depuis mon réveil, en fait, c'est le même que l'ancien. Il ne s'agit quand même pas d'une métempsycose!

Bientôt, Claire et moi nous joignons à un groupe d'adultes des deux sexes qui s'amusent à se lancer un ballon. Ils nous accueillent, et rient de mes tentatives de lancer plus fort, plus haut et plus précisément que je ne le puis. Les hommes sont gentils avec moi, et ne me lancent le ballon ni trop loin ou ni trop fort.

Dans le vestiaire, je regarde les femmes se changer avec un œil nouveau. Je me rends compte que la différence joue sans doute un rôle important dans l'attirance entre les sexes. Ces femmes sont toutes jolies — vive les progrès de la médecine, qui a éliminé non seulement les infirmités et les difformités, mais aussi les ventres flasques et même la cellulite, enfin presque — mais je sais que je suis une femme comme elles. Une partie de mon esprit voudrait bien encore pouvoir les baiser, mais mon corps sait que ce n'est pas possible. Je trouve cela dommage tout en ayant l'impression que ça augure bien pour l'avenir.

De retour à la clinique, Claire me demande si j'ai eu des rêves la nuit passée. J'ai un peu honte de lui en parler.

«En fait oui.» Je rougis un peu. «Pour ce que je m'en rappelle, c'était assez... érotique.

— Te voyais-tu en femme ou en homme, me demande-t-elle?

— Eh bien, j'étais une femme, je crois. Mais j'étais avec des femmes, et je leur faisais l'amour comme un homme, tout en étant une femme.»

Elle prend des notes. «Et avec qui étais-tu?»

— Eh bien... Avec Carole. Enfin, je crois.» Je rougis de plus belle. «Avec toi aussi.»

— Avec moi. J'imagine que je dois trouver cela flatteur.» Elle rit. «Est-ce que ça veut dire que tu me désires?»

Je réfléchis tout en rougissant.

«Je ne sais pas. Si j'étais un homme, je dirais sûrement oui. Tu es fichtrement jolie. Et j'ai toujours eu un faible pour les brunettes. Mais dans mon état actuel, je ne sais pas trop ce que signifie désirer.»

Elle prend encore des notes. Puis elle me lance:

«Allons courir un peu.»

Elle me fait courir longtemps, en alternant avec des périodes de marche, pour reprendre mon souffle. Comme à peu près tout le monde, je m'entrainais régulièrement dans ma vie antérieure. On sait depuis longtemps l'importance de la forme physique pour apprécier la vie, même si ça a pris, ai-je déjà lu, bien des décennies pour entrer dans les mœurs de tout un chacun. C'est pour ça que je me plie volontiers aux séances dans lesquelles elle m'entraine. Mais là, c'est un peu trop.

Le soir, Claire s'invite dans mon lit.

«Stéphanie. Je sais que c'est dur pour toi. Je t'entends pleurer la nuit. Si tu veux, je peux passer la nuit avec toi.»

Je reste sans voix.

«Non, je ne suis pas lesbienne. Après tout, si je l'étais, comment pourrais-je t'enseigner à être hétéro? Mais je sens que tu as besoin d'un peu de chaleur humaine.

— Tu as sans doute raison. Viens.»

Le lit est assez étroit, et elle doit se coller contre moi. Je sens ses seins contre mon dos, je sens son corps contre mes fesses. Je sens mon sexe devenir plus humide; mon clitoris, se réveiller. Je dois sans doute me tortiller, puisqu'elle me demande:

«T'es-tu masturbée depuis ton réveil?»

Je réponds «non» d'une toute petite voix.

«Vas-y.»

Je reste immobile. Elle prend alors ma main et la met presque de force dans ma culotte.

Comment faire autrement? Le plaisir monte lentement, bien plus lentement que quand j'étais un homme. Bientôt, un orgasme vient. En tout cas, tous les indices sont là, et une vague de bien-être envahit mon corps. C'est sans doute moins extraordinaire que j'avais pu me l'imaginer, mais ce n'est que la première fois.

«Ça a été bien?

— Je... je crois.

— Tu verras, ça sera mieux la prochaine fois. Et crois-moi, c'est mieux quand un homme te tient dans ses bras. En tout cas, la plupart du temps.»




Le lendemain matin, je me réveille toute courbaturée. Et, dans le demi-sommeil, les souvenirs du soir me font tout chaud. Mais les courbatures dominent rapidement. Quand j'annonce à Claire à quel point je me sens mal en point, elle sourit malicieusement:

«Je m'y attendais. J'ai préparé quelque chose pour toi.»

Après un déjeuner très léger, nous nous rendons dans la salle de massage. Là, un massothérapeute m'attend. Un homme. Je ressens un léger dégoût et me raidis.

«Stéph', détends-toi. Ou, plutôt, laisse-le te détendre. C'est un professionnel, tu sais?»

Encore un peut troublée, je m'allonge sur la table de massage, vêtue seulement de mes sous-vêtements et d'une serviette. C'est alors que ses mains me touchent. Des mains fortes, qui savent dénouer les nœuds que semblent être devenus mes muscles. Je plane. Pendant un instant, j'ai même peur que la détente m'inflige une érection malvenue; mais non, ça ne peut plus m'arriver.

Pendant un instant, étendue sur le dos, je le regarde travailler. Il me prend d'avoir des envies qu'il me prenne dans ses bras. Claire savait ce qu'elle faisait.




Après le massage, je le retrouve dans le salon de la clinique, à l'abri de la pluie.

«Stéphanie, nous croyons qu'il est temps que tu quittes la clinique. Comme tu t'en rappelles sans doute, tu dois passer les prochaines semaines dans notre centre de vacances et de rééducation. Tu pourras rencontrer d'autres femmes, et des hommes aussi, poursuivre tes exercices physiques, avoir des activités de groupe, sortir en ville. Ce sera une sorte d'école pour toi.

— Claire... viendras-tu avec moi?

— Bien sûr. Je reste ton accompagnatrice jusqu'à la fin. Mais je ne serai pas tout le temps avec toi. Il y aura dans ce centre d'autres femmes dont j'ai pu superviser la sortie de cuve. Et je reviendrai de temps à autre ici, pour d'autres sorties de cuve. Et j'ai des vacances, aussi. J'ai un copain qui va et vient, et je le rejoins dès que je le peux.»

Ah... elle a un copain. Je me sens un peu jaloux... je veux dire: jalouse.

Claire poursuit: «Quand comptes-tu te remettre à travailler?

— J'ai pris un congé de 15 mois, comme on me l'avait suggéré. Douze pour le traitement et trois moins de convalescence et de vacances. C'est assez, selon toi?

— Amplement. Je te garantis que tu seras sur pied, et en couple, avant ça.

— Moi, en couple avec un homme? Seulement s'il a des mains de massothérapeutes. Mais je crois que j'ai eu mon content de vie de couple.

— Ne dis pas ça. On a toutes besoin de quelqu'un. Et les hommes ne sont plus ce qu'ils étaient au XXe ou au début du XXIe siècle, alors que la révolution féministe venait tout juste d'ébranler la culture et les relations hommes-femmes. D'ailleurs, on ne peut plus parler vraiment en ces termes, plus depuis que la technique nous permet de changer de sexe. Tu le sais bien.

— Dis-moi, Claire, ce n'est pas à cause de ce qui s'est passé hier soir que...?»

Elle me prend dans ses bras.

« Bien non. Tu avais besoin d'un coup de pouce, et c'était mon rôle et mon plaisir de te le donner.»

Un instant passe.

«À propos, fais attention. Tu peux tomber enceinte. Le moment est sans doute passé pour ce mois-ci, mais dans un mois, ton corps va de nouveau vouloir t'obliger à te reproduire. Je ne pense pas... en fait, je sais que tu n'es pas prête à vivre une grossesse. Sois une femme avant d'être une mère, si jamais tu décides d'en être une.»

Alors, on va à ton nouveau chez-toi?

— On y va!»

De retour dans ma chambre, je constate que toutes mes affaires sont déjà dans un coffre. On croirait un hôtel! Après tout, au prix que j'ai payé! Claire roule le coffre et nous marchons jusqu'à l'arrêt de tram. Le centre est à quelques kilomètres de la clinique.




Je suis restée au lit ce matin. Oh que mon ventre me fait mal! On m'a donné un analgésique, pas assez fort, et Claire est avec moi.

«Eh oui, ça fait partie des plaisirs de la féminité. Les règles. Ça devrait durer trois jours, puis la douleur devrait diminuer.

— Devrai-je endurer cela tous les mois?

— Bien sûr que non. Il te suffit de tomber enceinte.» Elle se met à rire. «Mais non. Jusqu'au XXIe siècle, ma blague aurait été vraie, mais les moyens contraceptifs d'aujourd'hui permettent aussi de contrôler les menstruations. Tu n'en auras qu'aux trois mois. Ça devrait te suffire, non?

— Amplement!

— Maintenant, cesse de pleurnicher comme une fillette et descends un peu prendre l'air et te bouger.»




Les premiers jours dans le centre de vacances ont été un peu intimidants, et j'aurais bien aimé pouvoir rester au lit quelques heures, seule. Je partage ma chambre avec trois autres femmes, dont deux ont été des hommes auparavant — le changement de sexe est l'une des spécialités de cette clinique génétique. On juge qu'il est important que je m'approprie ma nouvelle place dans la société, même dans cette micro-société, en tant que membre d'un groupe. Et que j'aie donc des femmes auxquelles m'identifier.

Je partage donc mes nuits avec Chloé, Nathalie et Suzanne. Elles ont toutes trois été très gentilles, ayant toutes passé par là où j'ai à passer, et nous avons longuement discuté.

Dès la première journée, d'ailleurs. Quand je suis arrivée au centre, avec Claire, après avoir passé à ma chambre — tout avait été bien organisé et le communicateur que j'ai à la ceinture a sans problème déverrouillé la porte de ma chambre et celle de mon armoire — Claire m'a laissée pour aller voir ses autres protégées et je suis allée me promener. Eh bien, les hommes me regardaient... ils me regardaient comme... comme les hommes regardent les femmes. Je ne peux pas les en blâmer, mais Dieu que je me suis sentie gênée! Il faut dire que je portais un de ses t-shirts décolletés et que Claire m'avait convaincue de mettre une de ces jupes courtes.

«Ça ne fait rien, ce que tu portes, me dit Chloé. Tu n'es pas qu'un corps, et les hommes doivent te respecter, même en te regardant.

— Mais c'est quand même bien de sentir que tu plais aux hommes, rétorqua Suzanne. Depuis la nuit des temps, les hommes reluquent les femmes, et nous devons toutes nous y habituer, y trouver du plaisir, et même, pourquoi pas? du pouvoir.

— Peut-on vraiment s'y habituer, demandai-je? Je sais que j'ai l'air d'une de ces anciennes féministes, mais je me sens rabaissée. Je ne suis pas qu'un corps.

— Mais ce corps, tu l'as payé fort cher, me répondit Suzanne. Si tu ne voulais pas être une femme, tu n'avais qu'à rester un homme. Rien ne t'en empêchait.

— D'ailleurs, me dit Chloé, dès que j'ai vue, j'ai su que tu avais été un homme. La manière dont tu me regardais était... justement de celles que tu reproches aux hommes. On se demande bien pourquoi tu es devenue une femme si tu as des désirs et des comportements d'homme.»

Je leur racontai alors, mon histoire. Plus j'avançais, plus je sanglotais. Et elles se mirent à sangloter, puis à pleurer avec moi. Bientôt, nous pleurions toutes ensemble, dans les bras l'une de l'autre. Elles étaient devenues mes amies.




Tous les jours, je vais au gymnase, à la salle de musculation ou à la piscine avec elles. J'avais obtenu de Carole qu'elle modifie mon horaire d'entrainement pour que nous puissions pratiquer ensemble. Après m'avoir longuement regardée dans les yeux, elle m'avait donné mon accord.

La piscine est ce qu'il y a de plus difficiles. Bien sûr, c'est une piscine mixte. Je me suis rappelée avoir lu qu'autrefois, il y avait nombre de piscines non-mixtes, et m'être dit alors que c'était un gaspillage de beauté: «Installerait-on la Joconde derrière un rideau?» Carole avait soupiré et haussé les épaules: «Ah! Les hommes!» Eh bien, je ressentais alors les raisons qui avaient sans doute amené les femmes de cette époque à demander à se baigner entre elles.

Bien que nous ne soyons pas nues, nous sentons parfois le regard des hommes traverser nos maillots. Certains regards sont si insistants que je me surprends à vérifier leur état d'esprit dans leur maillot. Sans l'encouragement des mes amies, j'irais me baigner bien moins souvent.

«Ne te laisse pas intimider par des regards, me dit Nathalie.

— Plus facile à dire qu'à faire. J'ai été un homme, je sais ce qu'ils regardent.

— Et après? Sentais-tu que tu manquais de respect aux femmes que te regardais ainsi?

— Euh... Non. Mais, rétrospectivement—

— Arrête de rétrospecter. Oui, nous pouvons trouver ça difficile à supporter. Mais tu sais qu'il ne s'agit pas d'un manque de respect. Si je me souviens bien, il s'agit d'un — comment dites-vous? — d'un tribut à notre beauté. Es-tu une belle femme, Stéphanie?

— Euh... je pense que oui.

— Arrête les «je pense». Tu as été un homme, tu le sais: es-tu une belle femme?

— D'accord, oui, je suis une belle femme. Enfin, je trouve.

— Préférerais-tu être laide?

— Bien sûr que non.

— Alors, laisse les hommes te regarder.

— Et soutiens leur regard, ajouta Chloé.

— Mais, si je leur rends leur regard, ils vont penser que je suis intéressée à eux, non?

— Ah! Si tu leur souris, oui. Ton regard doit montrer ton agacement. Sache-le, c'est eux qui vont détourner les yeux, et vite!»

Sans doute avaient-elle raison. J'ai essayé de mettre leurs conseils en pratique, mais je sentais toujours le regard des hommes. Peut-être le sentirai-je toujours.




Après quelques jours dans le centre de vacances, Carole me demande si j'ai annoncé ma résurrection à mes amis. J'avais complètement oublié, obnubilée que j'étais par mon cheminement personnel et les nouvelles amis que je m'étais faites au centre. Je lance donc un appel général sur mon communicateur.

Très vite, je reçois des appels. La plupart ont l'air assez gênés. Ils connaissent tous la disparition de Carole et se doutent de la situation inconfortable dans laquelle je me trouve. Mais même sans ça, le seul fait que j'aie changé de sexe les met sans aucun doute mal à l'aise. On ne sait plus trop comment se comporter avec moi.

Même si on peut dire, sur certains points, que je suis restée la même personne, mon apparence est plus forte que toute théorie: on ne peut pas se comporter avec une Stéphanie comme on se comportait avec un Étienne.

Malgré tout, je reçois quelques visites. Surtout des collègues, qui auront certes à travailler de nouveau avec moi dans quelques décades. Avec un peu d'alcool, la situation se détend un peu.




«C'est bien toi, me demande Jacqueline? Laisse-moi te regarder.

Eh oui, on te reconnait malgré les changements.

— Vraiment, demandé-je?

— Bien sûr, ajoute Claire. Tu gardes un air certain de famille avec ton ancienne apparence.

— C'est tout à fait ça. Même plus qu'un air de famille.

— Je suis contente de voir que tu me reconnais. Je n'ai pas changé tant que ça, tu sais.

— En fait... hésite Jacqueline... ce n'est pas tout à fait vrai. Il suffit de voir comment tu bouges, même comment tu regardes, pour voir que tu es bel et bien devenue une femme.

— Et tes vêtements sont plus, comment dire, colorés qu'avant. Jamais Étienne n'aurait porté ça, ajoute Éric.

— C'est pas vrai.» Je regarde plus attentivement mes vêtements. «Claire, c'est bien toi qui m'as fait acheter ça. Mais à quoi tu pensais?

— Stéphanie, tu as accepté de les acheter, non?

— Mais tu sais très bien que j'étais encore sous le choc de mon réveil, à ce moment-là. C'est toi qui les as choisis.»

Jacqueline et Éric nous regardent nous disputer d'un air amusé.

«Stéph', tu connais mon travail: je dois faire de toi une vraie femme. Si j'ai choisi ces vêtements-là, c'est que c'est ceux-là que je jugeais te convenir le mieux. Ils ne sont quand même pas extravagants, non?

— Ouais. Ils sont juste féminins. Mais je dois dire... que je commence à me sentir bien dedans.

— Quoi, tu ne les trouves pas extra, demande Jacqueline? Moi, je les trouve très bien. Je n'ai pas vu tous tes vêtements, mais tu pourrais même en porter de plus féminins, d'après moi.

— Mais quand même pas au bureau, rétorque Éric.

— Pourquoi pas, demande Jacqueline? Ce qu'elle porte est très bien, non?

— Si tu le dis, concède Éric. C'est que, Ét... Stéphanie, j'ai encore de la misère à te voir comme une femme. Dis-nous comment tu te sens; ça m'intrigue.

— Je commence à me sentir à l'aise dans mon corps. Au début, je ne me reconnaissais même pas dans le miroir, et je me trouvais même... En tout cas, j'y voyais une jolie femme. Et mes réactions face aux jolies femmes me déstabilisaient.

— Que veux-tu dire?

— Eh bien, tu sais...» Je commence à rougir. «Pas d'érection et ces choses-là. Je crois d'ailleurs que mes pulsions sexuelles sont plus basses qu'avant le changement.

— Et les hommes, demande Jacqueline?

— Les hommes... ils me regardent, mais j'ai appris à le supporter.

— Bien sûr, on sait toutes ça. Mais toi, les regardes-tu?»

Ils me regardent tous avec curiosité.

«Euh... je ne crois pas. Même si j'en trouve certains gentils.

— Pas plus, demande Claire? Pas même le massothérapeute?

— Quel massothérapeute, me demandent mes amis?

— Eh bien, lors des premiers jours, après les tortures — enfin, les exercices — que Claire m'avaient imposés, je me suis sentie toute courbaturée, et Claire m'a arrangé un massage. Il avait de belles mains. Je m'en souviens encore.» Un sourire passe sur mes lèvres.

«Ça va venir, ne vous inquiétez pas, les rassure Claire. Elle progresse bien.

— En tout cas, reprend Éric, ça doit être amusant de fréquenter le vestiaire des femmes.

— En fait, pas vraiment. Je crois que je n'ai plus face aux femmes le même point de vue qu'avant. Peut-être que l'absence de différence joue un rôle.

— Ah! La mécanique du désir, quel mystère, conclut Claire. J'y travaille tous les jours, mais je ne la comprends pas encore.»

Jacqueline me regarda avec un sourire étrange.




«Étienne, une femme! On aura tout vu!»

C'est Albert, un vieux pote, qui vient d'arriver. Soul, semble-t-il.

«Ah! Voilà de quoi boire! À propos, Étiennette — bonjour tout le monde, je vois que vous avez déjà mangé — à propos, Étiennette, quel pétard t'es devenue! Ça me rappelle les danseuses qu'on allait voir tous les deux. Maintenant, vas-tu aux danseurs?

La situation se corse. Albert, surtout soul, n'a jamais montré un respect inné des femmes.

«Non, je ne suis jamais allée voir des spectacles de danseurs. Plus tard, peut-être. N'est-ce pas?» terminé-je en m'adressant à Claire et à Jacqueline. Claire tente de reprendre le contrôle.

«Nous ne croyons pas que ce soit la meilleure façon d'introduire un ex-homme à sa nouvelle féminité.

— Foutaises! Le cul, c'est le cul, et on connait ça, hein, Étiennette?

— Mon nouveau nom, c'est Stéphanie.

— Stéphanie, Stéphanie! Ah ouais, j'ai lu. Pourquoi t'as choisi ce nom-là?

— Espèce d'inculte!» lancé-je en espérant détendre l'atmosphère. «Étienne et Stéphanie ont la même origine latine. C'est vrai que ces choses-là ne t'ont jamais vraiment intéressé.

— Ça, tu peux le dire. Entre nous, Sté-pha-nie, je veux savoir: comment ça fait de se faire tringler? Est-ce que c'est aussi bon qu'on le dit?»

Je rougis pour de vrai et je bafouille:

«Euh... je... »

Claire prend la parole. «Stéphanie n'est pas encore arrivée à cette étape dans sa nouvelle vie. Alors, Albert, c'est ça? si tu veux bien changer de sujet...

— Étienne, vierge? Si tu veux, je peux t'arranger ça, tout de suite puis ici, ma belle.

— Albert, nous exclamons-nous tous.

— Arrêtez donc de jouer les prudes! Je suis sûr qu'elle adorerait ça.»

Il commence à se lever, à venir vers moi. Je quitte ma chaise et me mets à reculer dans la pièce, les bras devant moi. Bientôt, Éric le rattrape et le retient.

«Fais pas ça, Albert.»

Albert s'interrompt et me regarde fixement. Longuement. Il semble décontenancé à l'idée de reconnaitre son vieux pote dans la femme qu'il a en face de lui. Il se rassied et prend une dernière gorgée.

«Je pense que je vais m'en aller. Je vais aller aux danseuses, tiens!»

Des employés du centre le raccompagnent à la porte.

«Est-ce qu'il est toujours comme ça hors du travail?», demande Jacqueline au bout d'un certain temps.

Je comme à peine à me détendre. «Quand il a bu, il est toujours un peu, comment dire, moins policé, mais c'est la première fois que je le vois comme ça.

— Peut-être, commence Éric avec hésitation, peut-être est-il un peu déstabilisé par le changement que tu as vécu. Moi-même, je dois avouer que je ne me sens pas trop à l'aise.

— Pourquoi ça, demandé-je.

— Eh bien...» Il cherche un peu ses mots. «Eh bien, vois-tu, nos rapports avec les gens dépendent toujours du sexe qu'ils ont. On ne peut pas agir avec une femme comme on agit avec un homme.

— Est-ce que ça veut dire que... tu ne vois qu'une femme en moi? Est-ce que, toi aussi, tu as le gout de me tringler, comme il a dit?»

Éric rougit.

«Ce n'est pas ce que je veux dire. Mais il y a toujours un peu de ça. Il ne pourra plus y avoir entre nous la même bonne vieille camaraderie qu'avant. Il y aura dorénavant toujours cette tension sexuelle. Tu ne pourras plus être le bon vieux Étienne que tu étais avant.»

Nous restons silencieux pendant un moment. Je suis un peu triste, je l'avoue.

«Et toi, Jacqueline, qu'est-ce que tu en dis?

— Euh... eh bien, Stéphanie, Éric a sans doute raison. Je ne te vois plus de la même manière. Avant, vois-tu, pour tout ce que nous faisions ensemble, je devais me demander: est-ce qu'il me drague?

— Quoi? Tu te demandais toujours ça! Mais tu savais bien que j'étais avec Carole.

— Bien entendu que je le savais. Mais quand même. La drague existe toujours, même à faible intensité. Maintenant, ce n'est plus la même chose. Maintenant, tu es une adversaire», finit-elle en riant.

«Une adversaire? Mais dans quel domaine?

— Mais dans la chasse aux hommes, idiote!»

Je reste estomaquée un instant, puis nous nous mettons tous à rire. Ensuite, nous nous mettons à parler boulot.




Avant de partir, Jacqueline me prend à part.

«Tu sais, Ét... je veux dire: Stéphanie, je suis désolée que Carole t'ait quitté. Mais, tu ne l'as sans doute jamais remarqué, j'aurais bien aimé que les choses se passent différemment.

— Quoi? Je n'ai rien remarqué.

— Je m'en doutais. Les hommes ne remarquent jamais rien.»

Je ne relève pas l'insulte.

«Alors, quand tu parlais de drague à basse intensité... Aurais-tu voulu que l'intensité soit plus haute?

— Oui. Non. Oui et non, en fait. Oui, j'aurais bien aimé que les choses se passent autrement. Mais je ne crois pas que j'aurais aimé que tu quittes Carole pour moi — on ne peut jamais se fier à un homme qui quitte sa compagne — et encore moins que nous vivions une liaison clandestine. J'avais mon amoureux, mais si les choses s'étaient passées autrement...

— Tu te répètes. En tout cas, il est trop tard, maintenant.

— On dirait bien.» Un moment passe, puis elle ajoute: «Laisse-moi t'embrasser.»

Ce n'est pas un petit bec entre filles, mais un vrai baiser. Par instinct ou pas habitude, nous nous enlaçons, puis, bientôt, je l'embrasse de nouveau et me mets à la caresser. Le contact de ses seins contre les miens est quelque chose qui m'excite beaucoup; il mêle la sensibilité de mes seins aux souvenirs des seins que j'ai caressés dans ma vie antérieure. Je sens mon entrejambe se réveiller. Jacqueline essaie de me rendre mes caresses, mais je sens une certaine rigidité dans son maintien. Quand ma main s'aventure dans un territoire plus osé, elle la retient. «Non, je peux pas, me dit-elle. Pas avec une femme. Je suis tellement désolée.»

Elle se met à pleurer, puis je la rejoins bientôt. La tristesse élimine très vite tout le désir qui montait en moi, même si je reste enlacée à elle. Nous nous endormons ainsi, dans les bras l'une de l'autre, sur un canapé de la salle de réunion.




Après m'être remise de mes règles — mes amies se sont alors gentiment moquées de mon manque de résistance — on m'a invitée à faire partie d'une équipe de handball. Puisque c'est le début de l'été, nous jouons le plus souvent dehors et je m'amuse bien. Nous jouons entre femmes, bien sûr, même si des hommes nous encouragent des estrades — ou, plutôt, encouragent certaines d'entre nous.

Ça me fait du bien de me sentir faire partie d'une équipe de femmes, uniquement de femmes, unies dans la victoire et dans la défaite. Et ces autres femmes, en face, ne sont que des adversaires. Coéquipières, adversaires, les choses sont claires. Mais cette dichotomie dure seulement le temps du match. Après, nous allons toutes prendre un verre à une terrasse, et certaines de mes amies m'ont même alors enseigné comment les femmes jaugent les hommes qui passent. Fous rires assurés.

Je crois que je ne vois plus les femmes comme des partenaires sexuelles potentielles. Elles ne m'excitent plus. Entre copines de chambre, comme c'est le plein été, nous nous changeons les unes devant les autres, et dormons parfois nues, et ça ne me fait plus rien. C'est dorénavant à des hommes que je rêve, la nuit ou lorsque je me masturbe.

Avec l'été arrive la saison du festival d'été. Il y a des spectacles, et mêmes des danses dans les rues. J'y vais avec mes copines, et aussi avec quelques hommes du centre, soit d'anciennes femmes, soit des hommes ayant subi de graves blessures ou ayant souffert d'une maladie grave et que l'on a guéris par cuve génétique. Quand ils me font danser, je ne pense plus qu'à mon plaisir et à la fête. Les danses plus langoureuses me font encore un peu peur: sentir le pénis, le plus souvent en érection, de mon partenaire contre mon corps me fait un effet qui m'effraie. Surtout que j'en rêve ensuite la nuit.

Heureusement que suffisamment de temps a passé et que l'on a pu finalement m'injecter un contraceptif moderne. Ce n'est pas que j'aurais voulu coucher avec un homme plus tôt, mais sans doute serai-je bientôt prête. Quand les hommes me regardent, je me sens fière, désormais, au grand désespoir de Chloé, qui a quitté la chambre mais que je revois de temps à autre.

Après les danses, il y a toujours un homme pour s'offrir à me raccompagner jusqu'au centre, comme dans l'ancien temps. Mais les rues sont sûres, et je crois savoir ce qu'ils ont derrière la tête. Je préfère rentrer seule, en tram ou à vélo, même si je me surprends à avoir un peu peur de mon ombre. Par contre, j'accepte quelques invitations à souper ou à aller prendre un verre. Le fait que j'aie été un homme il y a à peine plus d'un an en rebute beaucoup, mais en excite d'autres. Ceux-ci me font parfois un peu peur. Qu'est-ce qui peut bien tant exciter un homme à cette idée? Ce sont certainement des hommes... bizarres. Or, si jamais je couche avec un homme, ce sera dans le cadre d'une relation plus profonde qu'une simple affaire d'attirance sexuelle.

Oh là là! Je ne suis plus l'Étienne que j'étais! Celui-là, célibataire, n'aurait jamais refusé une nuit de sexe sans lendemain!




C'est la fin de l'été, mon travail reprendra bientôt. Avec quelques amis du centre et du boulot, nous avons décidé de partir en randonnée dans le parc au nord de la ville. Je dois me procurer des nouvelles chaussures, un sac à dos et tout le matériel. Nous allons prendre un train qui nous laissera quelque part dans la forêt et nous pourra nous reprendre plusieurs fois par jour.

Mon Dieu que mon sac est lourd! Pourtant, je ne l'ai pas rempli plus qu'auparavant. Il faut dire que je suis bien plus faible. Mes membres supérieurs n'ont plus que 30 à 40 pour cent de la force que j'avais auparavant. «C'est tout à fait dans les normes», m'a dit Claire. Heureusement que des hommes s'offrent pour porter une part du matériel commun. C'est quand même pratique d'avoir des hommes dans notre groupe. Et je crois me rappeler qu'ils sont toujours heureux de faire étalage de leur force.

Nous sommes une vingtaine, équipés de cinq tentes, et je ne connais pas tout le monde. Parmi les inconnus, il y a un homme du centre nommé Luc. Alors que nous marchons dans la forêt, nous nous retrouvons côte à côte et j'apprends qu'il est au centre, lui aussi, dans le cadre d'un changement de sexe. L'ancienne Lucie avait vécu bien des peines d'amour et avait décrété qu'elle en avait assez des hommes. Grâce à un héritage, elle avait donc décidé d'en devenir un pour pouvoir vivre une relation avec une femme. Nous avons donc tout de suite socialisé.

Luc trouve l'adaptation bien difficile. Il comprend enfin pourquoi les hommes sont tellement obsédés par le sexe.

«À chaque fois que je pense à mes expériences passées, à chaque fois que je regarde une femme, sans oublier tous les matins — et je dis bien TOUS les matins — j'ai une érection! Mon corps exige de passer à l'action. Comment peut-on vivre ainsi? Comment faisais-tu?

— Le plus simple, Luc, reste encore d'avoir une vie sexuelle épanouie.

— Tu parles comme mes anciens compagnons! Ils voulaient toujours baiser.

— Moi aussi, j'étais comme ça. En tout cas, beaucoup plus que maintenant. J'avais entendu dire que les femmes ne voulaient baiser que ceux qu'elles aiment. C'est peut-être un peu exagéré, mais c'est une bonne approximation.

— Et les hommes, eux, veulent baiser tout le monde, c'est ça.

— Tu es trop dur avec toi-même. Quand tu auras une relation stable, tu verras que ça ira mieux.

— Vraiment? Ce n'est pas ce qui est arrivé à mes compagnons. Ils ont continué à regarder ailleurs.

— On n'est pas tous faits de la même pâte.

— Dis-moi, Stéphanie, as-tu couché avec un homme depuis ta transformation?»

De la part d'un autre homme, j'aurais été insultée. Mais comme Luc vit une épreuve que je peux comprendre...

«Non, pas encore. Mon désir pour les hommes croît lentement. J'ai de la misère à m'imaginer pénétrée par un pénis. Intellectuellement, je sais que ça devrait me causer du plaisir, mais ça ne passe pas.

— Tu sais, Stéphanie, quand j'étais adolescente, j'avais la même peur. Pour une jeune fille, le pénis en érection d'un garçon est assez impressionnant, surtout que l'on n'a qu'une conscience très vague de la forme et de la taille de notre vagin.

— Je crois avoir exploré assez de vagins pour savoir que ça va rentrer. C'est l'idée de me faire... tringler, comme disait un ami, qui me hérisse.»




Lors du souper, nous décidons de partager la même tente. Nous sommes quatre dans cette tente, et il est donc bien évident que Luc ne pourrai pas aller aussi loin qu'il le désire — ou que son corps le désire, à tout le moins. Ça me rassure.

Mais, toute la nuit, il se colle contre moi. À chaque fois que je me réveille, ce qui arrive assez souvent, m'étant déshabituée des bruits de la forêt ainsi que de dormir en couple, je sens son corps contre le mien et, plus souvent qu'autrement, son pénis contre mes fesses. Ayant toujours l'impression qu'il va m'enculer, malgré nos sous-vêtements, je tente de m'éloigner de lui, mais il n'y a pas tant de place.

Mes rêves sont agités.




Au retour de la randonnée, je m'installe dans mon nouveau logement. J'ai lu qu'autrefois, les personnes dans mon genre vivaient souvent dans un appartement tout équipé, tout équipé d'équipements sous-utilisés. Quel gaspillage de ressources! Je me suis installée dans un logement de célibataires, dans une section de femmes, où je reconnais quelques visages de mon séjour au centre. J'ai ma chambre à moi, mais les autres pièces sont communes. Bien sûr, cette résidence m'a été proposée par Claire.

«Tu y seras bien, je t'assure. Bien des femmes dans ton cas s'y sont installées avec un grand succès. Et tu continueras à avoir du soutien de la part de tes corésidentes. En plus, c'est assez près du centre, de telle sorte que tu pourras venir me voir si le besoin t'en prend.

— Tu seras donc mon accompagnatrice à vie?

— À vie, peut-être pas, mais aussi longtemps que tu auras besoin de moi, je serai là.»

Quand nous nous quittons, nous nous serrons longuement dans nos bras. Je me rappelle alors les émotions que sa vue avaient fait naitre en moi lorsque je l'avais vue pour la première. Je la désirais. Comme c'est loin, tout ça! Mon nouveau corps me dicte sa loi, tout comme celui de Luc lui dicte la sienne.

Parlant de Luc, nous avons décidé de nous revoir. Je ne peux pas m'enlever de la tête le souvenir de son corps contre le mien — et de son pénis contre mon corps — partagée entre le désir et la peur. En plus, il a été très galant durant la randonnée, m'aidant à chaque fois que mon corps me faisait défaut, et parfois même quand je n'en avais pas vraiment besoin. En effet, depuis ma renaissance, j'accepte sans orgueil les offres d'aide. Je me demande parfois si c'est ma féminité qui se manifeste ainsi.




Après quelques sorties, Luc me demande avec une certaine fébrilité s'il ne peut pas venir passer la nuit dans ma chambre. Tant par désir d'aller de l'avant que pour satisfaire ce que je sais être difficile à supporter pour lui, j'accepte.

On dit que la routine de séduction a à peine changé depuis que l'humanité existe. J'ai peine à la croire. Dans notre cas, nous sommes sommes bien sûr embrassés et caressés, mais la routine du déshabillage qui m'excitait tellement... Quand on a porté un soutien-gorge toute sa vie, l'enlever à son amante perd tout mystère.

Luc semble bien pressé. Il me ne caresse pas aussi longuement que je ne le souhaite ou que j'ai souvenance de l'avoir fait auparavant. Mais je le comprends et je compatis un peu à son excitation. Je lui permets bien vite de glisser son pénis vers mon vagin, déjà près à l'accueillir, je le sens. Nous sommes tous les deux maladroits, n'ayant jamais fait cela ni l'un ni l'autre.

Finalement, le moment suprême. Aïe! Une douleur, mais aussi un plaisir! Me voilà déviergée. Et voilà qu'il... éjacule! Déjà? Bien sûr, avec toute la tension qui l'habitait.

Luc a l'air tout surpris. Déçu, même. C'est seulement ça? Je le regarde dans les yeux... et je me mets à rire. Il me rejoint bientôt, après être sorti de moi. «Il fallait s'y attendre, Luc. Et je suis heureuse que tu le prennes si bien. Ça prouve presque que tu n'as pas toujours été un homme, parce que la plupart des hommes auraient été blessés dans leur orgueil.

— Ouais. Je me souviens. Et comment ça a été pour toi?

— Court.

— Oui, je sais, arrête de retourner le fer dans la plaie.

— En fait, je n'ai pas trop senti quoi que ce soit. Les préliminaires, ça te rappelle quelque chose?

— J'ai été trop vite?

— Tu t'es comporté en homme, tout simplement.

— Est-ce que c'est une insulte, demande-t-il en bâillant?

— Non. Je sais ce que c'est, même si le souvenir commence à s'estomper. Dors donc un peu. La nuit est encore jeune.»

Comme je l'avais prévu, Luc n'a pas tardé à s'endormir, assommé par le contre-choc hormonal. Moi, je restais tout éveillée, comme bien des femmes me l'avaient reproché. Prenant mon courage à deux doigts, je décidai de me masturber, pour passer le temps agréablement.




Plus tard dans la nuit, nous nous réveillons tous les deux. Je sens le pénis en érection de Luc contre ma vulve, et Luc tient un de mes seins dans une main. Je suis rapidement tout excitée.

Nous reprenons ça. Cette fois-ci, Luc tient un peu plus longtemps, et je sens mon plaisir monter très haut. Toujours pas d'orgasme, mais je sais que ça viendra avec le temps et l'expérience.

Luc le sait aussi, vu son passé, ce qui rend notre relation plus décontractée qu'elle ne pourra jamais l'être entre un homme et une femme de naissance, je crois. Je suis vraiment bien tombée avec lui.

Épilogue

Quelques semaines plus tard, à sa sortie du centre de vacances et de rééducation, Luc et moi nous sommes mis ensemble, dans une chambre pour couple d'une nouvelle résidence. Nous étions tous les deux heureux de pouvoir vivre notre nouvelle vie de cette manière. J'ai continué de fréquenter mes amies, et Luc s'est même fait des copains, ce qui l'a un peu réconcilié avec son nouveau sexe.

J'ai finalement eu bien du plaisir au lit. Je n'éprouve pas des orgasmes à chaque relation, et je n'en ressens d'ailleurs pas le besoin, me coller contre mon homme me satisfait aussi, mais quand j'ai un orgasme, il est parfois... époustouflant. J'en reste toute molle par la suite.

Au bout de deux ans, j'ai senti ce que des amies nomment «l'appel du ventre». Ma vie sexuelle et amoureuse allant très bien, j'ai eu envie d'avoir un enfant de Luc. Il m'a approuvée, tout en étant un peu jaloux, car il aurait bien aussi aimé être mère; ce sont ses relations ratées qui l'en avaient empêchée.

N'empêche que durant ma grossesse, il a été un compagnon parfait, attentif à mes besoins et ne se moquant pas de mes envies ou de mes sautes d'humeur. La grossesse et l'accouchement ne se sont pas déroulés plus mal que de coutume: nausées matinales, puis maux de dos et de jambes, jambes enflées, puis des heures à hurler et à vouloir mourir, le train-train habituel, quoi!

Mais quel accomplissement quand j'ai enfin pu voir le petit Charles et le mettre contre ma peau. Je me sens tellement femme quand je peux l'allaiter!

Enfin, j'ai intérêt à me sentir accomplie, parce que, au bout de quelques mois, Luc m'a quittée. Finalement, il était vraiment jaloux, et je l'avais un peu négligé sur le plan amoureux. Je me suis à peine rendu compte de son absence, puisque j'avais une aide maternelle pour m'aider sur le plan matériel.

Quoi qu'il en soit, je me suis installée dans une maison pour jeunes mères, où j'ai retrouvé Suzanne, avec qui j'avais partagé mes premières semaines dans mon nouveau sexe. Malgré sa présence dans notre maison, elle a un compagnon, qu'elle ne voit que sporadiquement — ils ont décidé d'établir une relation ouverte, sans engagement de fidélité, et elle ne s'attendait pas à ce qu'il l'aide dans sa maternité. Nous avons beaucoup de plaisir toutes ensembles, et nos enfants ont plein de frères et sœurs avec qui jouer... et se chamailler.

Ce matin, j'ai reçu une visite. C'est Carole. Je pensais bien l'avoir oubliée, mais mon cœur a sauté un battement quand je l'ai reconnue. Elle savait que j'habitais là, mon profil public donne ce genre d'information. Elle a donc pu facilement me reconnaître.

Elle s'est finalement lassée de son copain et a cherché a renouer avec son ancienne vie. Elle descend tout juste du train qu'elle avait pris au port, après sa traversée. Sa petite fille l'accompagne. Nous nous extasions d'abord sur les enfants de l'une et de l'autre avant d'aborder des sujets plus personnels.

Nous savons bien toutes les deux que le retour à notre relation passée est hors de question; nous sommes toutes les deux des femmes hétéros, et elle ne peut pas changer de sexe, sa présence auprès de sa fille était nécessaire. Nous parlons longuement, nous enlaçons, pleurons toutes les deux, alors que nos enfants jouent l'un avec l'autre — ou plutôt l'un à côté de l'autre, comme cela se fait à cet âge.

Je crois que nous pouvons être amies, même si le souvenir de notre relation éveille en moi des souvenirs douloureux; aussi en elle, je crois, malgré mon corps féminin. Elle dit reconnaître mon regard et même mon visage. Aussi n'ai-je pas mis de véto quand elle a demandé à vivre dans notre résidence.

Une nouvelle vie nous attend. Mais, tout d'abord, je dois allaiter Charles.