User:Forestier/Loger chez l'habitant 1

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Loger chez l'habitant... l'habitante

Author: Forestier
Science-fiction. Pour voyager d'un habitat spatial à un autre, on accomplit un échange de corps. Récit d'une erreur lors d'un échange. Première de trois parties.


1 - L'arrivée

Téléportation: Malgré tous les efforts des physiciens, la téléportation, envisagée dès le XXe siècle dans la science-fiction, n'a jamais pu être réalisée. Des obstacles théoriques la rendent impossible. Pour mouvoir la matière, il est nécessaire de lui appliquer des forces, comme déjà Newton l'avait montré. Le voyage entre les habitats spatiaux et les planètes reste donc long et couteux en énergie.

Par contre, l'information peut voyager rapidement et facilement. Comme l'esprit humain est composé d'information, on peut voyager facilement d'un lieu à l'autre à condition qu'un récepteur humain soit près à échanger sa place avec le voyageur. Chacun réside alors dans le corps de l'autre.


Dès qu'Abdou s'était levé de la chaise sur laquelle son nouveau corps était assis, il avait su que quelque chose clochait. Et ce n'était pas l'effet Coriolis! Comme toutes les salles d'échange de la Société interplanétaire de psychovoyage étaient munies de miroir, il avait tout de suite compris.

— Qu'est-ce que c'est que ce corps? Mais je suis devenu une femme! Qu'est-ce que c'est que cette histoire? Où est le corps de l'homme que l'on m'avait promis?

Personne ne comprenait, puisque les habitants de la Tore Asimov ne parlaient pas français. Il répéta donc le tout en espéranto, et on lui dit de se calmer et de quitter la salle, puisqu'on devait poursuivre les échanges avec d'autres personnes, mais que l'ordinateur affirmait que l'échange avait été fait selon le programme établi.

— Mais j'avais demandé un homme dans la trentaine, non? Et on m'avait promis d'accéder à ma requête!

— Madame... monsieur... j'ai ici le document que vous avez signé — c'est le contrat-type de la Société. Il y est clairement indiqué que le préposé peut, en cas d'impossibilité de trouver un corps tel que convenu, utiliser tout corps-récepteur qui lui semble adéquat. Les notes à votre dossier montrent que l'homme qui avait été choisi a changé d'avis à la dernière minute, et notre préposée a fait ce qu'elle a pu en vous trouvant rapidement un corps en bonne santé malgré l'affluence due au congrès.

— Je veux parler à ce préposé. Tout de suite.

— Eh bien...»

Les employés semblaient ennuyés:

— C'est vous. Elle s'est choisie elle-même et est partie en vacances... dans votre corps. Sans le moindre préavis, d'ailleurs: elle va se faire chauffer les oreilles à son retour. Si vous y tenez, nous pouvons la contacter immédiatement, mais il faudra une bonne heure avant de recevoir sa réponse.

Abdou dut s'asseoir.

— Allez-y, contactez-la.



La veille, Abdou avait si hâte d'assister au congrès scientifique où il avait finalement été invité. C'était la première fois qu'il quitterait son groupe de cylindres O'Neill pour visiter une des plus anciennes tores de Stanford en orbite autour de la Terre. La planète-mère étant moins peuplée et ayant besoin de moins d'énergie, la Tore Asimov s'était reconvertie en hôtel de luxe pour les congrès scientifiques. Elle pouvait accueillir jusqu'à cinq mille congressistes, les autres habitants de la roue devant rester en place pour faire fonctionner les infrastructures et accueillir les invités.

Bien sûr, il avait hâte de profiter de son séjour pour faire l'amour avec des femmes étrangères, des femmes blanches, à propos desquelles il fantasmait souvent. L'exotisme a toujours fait bander, et son groupe de cylindres était peuplé principalement de gens d'ascendance africaine. Alors, comme à côté à l'avancement de sa carrière, que demander de mieux?

Néanmoins, il était nerveux, puisqu'il utilisait pour la première fois cette méthode de transfert psychique, appelée parfois «voyage astral» par des plaisantins. Elle était tout à fait au point, bien sûr, mais quand même! Laisser quelqu'un habiter son corps, c'était un peu dérangeant. Le contrat qu'il avait signé garantissait à peu près tout, et il avait demandé à être échangé avec un homme fin vingtaine ou début trentaine, en bonne santé, comme lui, de manière à jouir au mieux de son séjour — dans tous les sens du mot «jouir». On lui avait promis que tout serait fait pour accéder à ses vœux. Il avait signé sans les lire les interminables pages de jargon juridique. De toute manière, la Société interplanétaire de psychovoyage était la seule qui pouvait lui permettre de participer au congrès. Alors, puisqu'il fallait y passer...




Une employée de la Société vint bientôt trouver Abdou.

— Madame... je veux dire: monsieur, en attenant confirmation de la part de notre préposée, la situation nous semble tout à faire claire: vous avez été transféré sans le moindre problème, et nous vous invitons à vous rendre à votre lieu de résidence où tous vos documents vous attendent.

— Vraiment. Vous pensez vraiment que je vais accepter la situation?

— Je regrette d'avoir à vous le dire, mais tout est conforme au contrat. Si c'est d'être une femme qui vous fâche, sachez que j'en suis une et que je ne m'en plains pas, tout comme la moitié de l'humanité. En plus, voyez ça comme une expérience, ajouta-t-elle avec un sourire. D'ici là, déguerpissez, nous avons du travail. Et on vous attend très certainement chez vous, ajouta-t-elle avec un sourire inquiétant. Nous vous contacterons s'il y a du nouveau.

Abdou dut se faire une raison. Alors qu'il se dirigeait vers la sortie, il s'arrêta sans le vouloir devant un miroir. Il s'était déjà vue, rapidement, mais la surprise et la colère l'avaient empêché de bien prendre conscience de son nouveau... véhicule. Il était maintenant une femme blanche, de taille moyenne, les cheveux châtains, à peine bouclés, et courts — comme à peu près tout le monde dans la Tore, avait-il lu — avec une poitrine avantageuse, un ventre malheureusement un peu flasque et des hanches bien rondes. Comme il faisait toujours assez chaud dans cet habitat, il — enfin, elle — ne portait d'une jupe courte, à la ceinture de laquelle était accroché son communicateur, un bustier court, qui couvrait et soutenait ses seins, et une écharpe verte, pour faire savoir sa qualité de visiteur à qui on devait parler espéranto. Il ne put s'empêcher de toucher ses seins, comme pour s'assurer de leur réalité, et il ne put s'empêcher non plus de porter sa main à son pubis désormais plat.

— Moi qui voulais connaitre les femmes blanches, me voilà servi, soupira-t-il.

Il déboucha bientôt dans l'allée centrale de l'habitat. Il n'avait que quelques centaines de mètres à parcourir, à pied, et nu-pieds, en plus: presque personne ne portait de chaussures à l'intérieur de la Tore, les chemins étant gardés très propres. Il ne put s'empêcher de reluquer en soupirant les femmes qui croisaient sa route, d'autant plus qu'elles étaient toutes fort peu habillées, certaines allant même les seins nus. Les hommes aussi, d'ailleurs, ne portaient qu'une sorte de jupe et le plus souvent rien de plus: ni chemise, ni chaussures. Le climat chaud et contrôlé expliquait en partie le costume, mais, se dit Abdou, la volonté d'attirer des congressistes libidineux y était sans doute pour quelque chose. Il en remarqua d'ailleurs quelques-uns, souvent assis à la terrasse d'un restaurant, en train de discuter ou de réviser leurs notes. Certains lui envoyèrent la main et l'invitèrent à s'asseoir, mais il n'avait surtout pas le gout de fraterniser. Surtout avec des hommes... Quand ceux-ci le regardaient — le reluquaient, plutôt, songea-t-il, en se rappelant très bien ses propres projets de loisir durant ce congrès — il se tassait sur lui-même; ses seins lui semblaient plus présents et plus lourds, et il se surprenait à réajuster ses bretelles, ce qui ne changeait pas du tout les choses; ou il croisait ses bras sous ses seins, ce qui les mettait en valeur; ou il croisait ses mains sur son ventre, ce qui attirait son attention vers son sexe. Rien n'y faisait...

Heureusement, il n'avait que quelques centaines de mètres à parcourir, le tout à pied, puisque son logement était dans le même secteur que les bureaux de la Société. Sa mésaventure l'aurait bien rendu morose, mais il s'efforça de se raisonner: son sexe inattendu ne devait pas nuire à sa carrière, et, de toute manière, ce serait bientôt corrigé, non? Tout en marchant, il détourna donc son attention de ces voyeurs et se la tourna plutôt vers l'architecture de son habitat temporaire: on pouvait deviner le plafond illuminé de soleil, à guère plus d'une centaine de mètres d'où il marchait; partout, on voyait des marcheurs et des gens attablés en train de manger, presque tout le monde mangeant en plein air, pour ainsi dire; de chaque côté s'élevaient des allées puis des escaliers vers les résidences et quelques bureaux ou boutiques; devant lui, on pouvait voir très clairement la courbure de l'habitat et le gratte-ciel — au sens propre — qui entourait les ascenseurs menant au moyeu, plusieurs centaines de mètres plus haut. Il savait que de nombreuses conférences auraient lieu dans ce gratte-ciel ou dans l'un des cinq autres de la Tore, mais que les plus importantes auraient plutôt lieu dans les salles souterraines, plus vastes, dont on voyait les accès et les puits de lumière un peu partout, de part et d'autre de l'allée centrale. Et partout du vert, des plantes à profusion et des petits parcs arborés, source de fraicheur, d'ombre et, il le savait, d'oxygène...

Comme il était aux alentours de midi — même si c'était le soir là où son ‘’vrai’’ corps était resté — Abdou commençait à avoir faim. Il se mit donc à regarder ce qu'offraient les différents débits de nourriture le long de sa route, et s'étonnait tant des étranges nourritures offertes que des sentiments que ces nourritures faisaient naitre en elle, en lui, non, en elle, quand son communicateur se mit à vibrer.

Enfin, la préposée coupable de sa situation avait rappelé et tout serait réglé, songea-t-il! Mais non, c'était trop tôt: on ne peut pas battre la lumière de vitesse. Il répondit donc en se demandant qui pouvait l'appeler.

C'était bien la Société, mais à un tout autre sujet: On lui conseillait — non, on lui enjoignait de contacter au plus vite une certaine personne, qui devait rejoindre au plus vite la dame Jenkins dont Abdou habitait le corps.

Intrigué, Abdou obéit. Lui répondit une jeune fille qui, dès qu'elle reconnut sa voix, lui débita à une vitesse folle un discours incompréhensible, parce qu'en anglais, en l'appelant plusieurs fois «Ms. Jenkins». En arrière-plan, un bébé pleurait, ce qui fit naitre, bizarrement, un sentiment d'inconfort dans les seins d'Abdou!

— Doucement, jeune fille, dit Abdou en espéranto, tout en se demandant ce qui arrivait à ses seins. Je ne suis pas madame Jenkins, et je ne comprends du tout de ce que tu dis.

— Vous n'êtes madame Jenkins? répondit-elle avec difficulté. Qui êtes-vous donc alors? Pourquoi ne puis-je pas rejoindre madame Jenkins?

Le bébé continuait à pleurer.

— Je m'appelle Abdou, je suis un participant au congrès scientifique et il semble bien que madame Jenkins vienne tout juste de décider d'échanger son corps avec moi.

— Vous êtes un monsieur dans le corps d'une..., s'exclama-t-elle avec incrédulité et un peu d'horreur, semblait-il.

— Tu sais, ça ne me plait pas plus qu'à toi. Mais pourquoi m'appelles-tu, ou plutôt pourquoi appelais-tu madame Jenkins?

— Vous êtes en retard, madame. Il faut vous dépêcher de revenir. Où est-ce que vous êtes?

— En chemin, pas loin, mais pourquoi faut-il que je me dépêche? J'ai faim et rien ne presse, non?

— Eh bien, vous êtes pas la seule à avoir faim. James aussi a faim.

— C'est qui, James?

— Mais votre bébé? Vous venez?

— ...

— Madame Jenkins? Monsieur Abdou? Vous venez?

— ...

— Est-ce que ça va? Dites-moi au moins où vous êtes!

Sans trop y penser, par réflexe, Abdou envoya la confirmation de position. Il comprenait maintenant pourquoi les pleurs de ce bébé — de son bébé! — avaient un effet sur ses seins: il l'allaitait. Merde! Il allaitait un bébé! Cette madame Jenkins allait le lui payer! Il se rendit alors que son soutien-gorge était mouillé et qu'il sentait le lait. Si c'était l'heure de la tétée pour James, c'était pour elle l'heure de la... de la traite, et ses seins le savaient. À moins que ce soient les pleurs qui aient eu pour effet de... Il ne savait plus quoi penser.

Et la petite qui allait arriver. Elle allait devoir allaiter ici. Ici? Devant tout le monde. Non, pas possible! Il devait se dépêcher d'aller chez lui... chez elle... il ne savait plus. Mais où était-ce, déjà? Il tenta de se mettre debout, mais se rassit aussitôt, tellement il ne savait plus quoi faire. Il avait même le vertige, et ce n'était surement pas l'effet Coriolis cette fois-ci non plus.

La jeune fille, la gardienne d'enfant, arriva bientôt, avec le bébé dans un sac posé sur l'épaule. Il pleurait et tout le monde se tournait vers le couple. Même si Abdou était un homme, et sans enfant, en plus, il savait qu'il ne pouvait pas refuser de faire ce qu'il avait à faire. Un bébé était trop important, et ce n'était pas sa faute si sa mère les avait mis dans ce pétrin et, en plus, ses seins lui faisaient mal.

— Connais-tu un endroit discret où je pourrais l'allaiter?

— Un endroit discret? Pourquoi ça? Vous pouvez l'allaiter ici. S'il vous plait, dépêchez-vous, il pleure et je n'aime pas ça.

En fait, Abdou n'aimait pas ça non plus, et on les regardait de plus en plus. Ce serait donc ici.

— Et puis merde, pensa-t-il! Ce ne sont pas ‘’mes’’ seins, non?

Il entreprit donc de libérer un de ses seins, que James attrapa gloutonnement. Si Abdou n'avait aucune expérience en allaitement, James en avait en tétée. De plus, Lucy — c'est le nom de la gardienne d'enfant — avait souvent vu des mères allaiter leur bébé, et elle ne fut pas peu fière de pouvoir conseiller Abdou. Et, au grand plaisir de ce dernier, elle avait apporté une couverture grâce à laquelle Abdou put cacher sa poitrine.

Abdou se sentait tout bizarre. Femme depuis moins d'une heure, et sans la moindre préparation psychologique, il était déjà mère et nourrice! Il flottait un peu dans une sorte de contentement béat, et la succion du petit James lui causait un plaisir, pas sexuel, non, pas du tout, même s'il s'agissait de seins, mais, comment dire? sensuel. Oui, c'est le mot. Bientôt James s'endormit et Abdou suivit presque. Lucy aurait dû retourner manger avec de sa famille, mais elle avait expliqué à sa mère la situation extraordinaire dans laquelle se trouvait madame Jenkins, enfin, Abdou — «Oui, maman, madame Jenkins a prêté son corps à un monsieur; non, ce n'est pas lui qui l'avait voulu; en tout cas, c'est ce qu'il m'a dit», conversation dont Abdou n'avait pas compris un mot — et avait acquis la permission de passer le reste de la journée auprès d'elle.

Ce fut donc Lucy qui conduisit Abdou et James jusqu'à leur logement, après avoir quand même laissé Abdou prendre un grand verre de jus de fruit — il avait très soif. Le logement était aéré, mais tout petit. Abdou s'en étonna, ce qui étonna à son tour Lucy, pour qui tous les logements étaient comme ça. En fait, c'était guère plus qu'une chambre — James et sa mère partageait le même lit, ce qui mit Abdou mal à l'aise et éteignit à tout jamais ses chances de vivre à plein l'expérience de son corps de femme — et une pièce qui pouvait servir à la fois de salon et de bureau. En plus d'une minuscule salle de toilette. Le logement ouvrait sur un patio commun à plusieurs logements, mais Abdou n'avait pour le moment aucune intention de contacter ses voisins.

Mais avant tout, il devait manger. Lucy et lui trouvèrent un lit portatif pour James, et ils descendirent à un petit restaurant. Lucy lui présenta tant bien que mal les mets, et ils mangèrent tous les deux avec appétit: une adolescence en croissance et une mère allaitante.

Au bout de quelques minutes, le communicateur d'Abdou vibra.

— Ici la Société de psychovoyage.

— Enfin. Vous avez pu contacter cette Jenkins. Quand pourrai-je avoir le corps que je désirais?

— En fait, monsieur, c'est un peu plus compliqué que cela. Nous n'avons pas pu contacter notre collègue. Son communicateur est réglé sur le mode vacances; il refuse donc toutes nos communications. Mais nous lui avons laissé un message.

— Comment ça, le mode vacances? Mais ma situation est une situation d'urgence, non? Dans ce cas, vous pouvez aisément outrepasser le blocage.

— Ce n'est pas notre avis.

— Vous ne pouvez pas outrepasser le blocage?

— Non. Enfin, oui, nous pourrions, avec la permission des autorités. Mais nous jugeons que la situation n'est en rien une situation d'urgence. Vous êtes en bonne santé, votre esprit est intact et vous pouvez participer au congrès comme convenu. Nous en avons parlé à notre service juridique, et il est de cet avis: nous avons rempli notre part du contrat.

— Mais je suis une femme! Et j'ai un bébé au sein!

— En effet, nous le savons. Pour ce qui est du bébé, nous vous offrons les services d'une gardienne d'enfants. Nous nous sommes fait dire qu'une certaine Lucy, une adolescente, jouait ce rôle en ce moment. Nous pourrions la libérer pour qu'elle puisse continuer. À moins que vous préfériez une personne adulte.

— J'y penserai. Mais l'allaitement?

— Ah! Ça, nous ne pouvons rien y faire. Mais votre bébé est déjà âgé de près de huit moins, il commence déjà à manger et les tétées se font un peu moins fréquentes. Nous jugeons que vous pouvez tout à fait participer au congrès dans ces conditions. Nous avons de nombreuses collègues qui peuvent vous le certifier d'expérience.

— Mais je suis une femme! Et je ne veux pas!

— Nous allons chercher à y remédier, mais ne vous faites pas trop d'espoirs à ce sujet.

— Comment ça?

— Tout d'abord, nos appareils de psychotransfert seront utilisés à plein durant au moins les trois prochains jours, pour le congrès, vous savez? Ce n'est qu'après cette période que nous pourrions faire peut-être quelque chose. Mais il faudrait trouver un volontaire. Les personnes admissibles sont assez peu nombreuses. Le congrès nous a demandé beaucoup de main-d'œuvre. Et puis ensuite...

— Et puis ensuite quoi?

— Eh bien... Vous savez, les hommes à qui votre expérience plairait ne courent pas les rues. Et nous ne pouvons contraindre personne. Alors, à votre place, je tenterais de faire contre mauvaise fortune bon cœur.

— Ouais, c'est ça.

— C'est hélas tout ce que je peux faire, mada... monsieur. Je vous souhaite une bonne journée et suis heureux de vous compter parmi nos clients.

— C'est ça, bonjour!

«Dis, Lucy, on propose de te libérer pour être mon aide durant tout mon séjour. Ça te dirait?

— Je vais en parler à mes parents. Mais je pense que vous devriez faire une sieste, madame Jenkins.

Abdou eut un regard féroce.

— Je veux dire, monsieur Abdou. Vous avez l'air fatigué.

— Oui, tu dois avoir raison. Mais avant, je vais jeter un coup d'œil au dossier sur madame Jenkins que la Société m'a préparé. James, il dort où?

— Mais avec vous. Et avec son père, quand il est là.

— Son père...

Abdou essaya de ne pas laisser transparaitre son trouble.

— Et il sera là quand?

— Ça, je ne le sais pas.

Abdou commença donc la lecture du dossier. Madame Janie Jenkins était une femme dans la trentaine, agente de dossier pour la Société interplanétaire de psychovoyage. Elle était née dans la Tore Asimov et ne l'avait jamais quittée. Elle vivait parfois avec un certain Edward Black, qui travaillait comme technicien de maintenance dans une des usines d'impesanteur du moyeu. Abdou lui écrivit immédiatement pour lui faire part de la situation et lui demander de trouver un autre endroit où coucher.

Il semble que Janie ait eu des épisodes de légère dépression après la naissance de James. Elle était revenue au travail à mi-temps depuis quelques semaines, surtout à cause de l'affluence du congrès auquel Abdou était venu participer. Bien que son travail ne laissât pas à désirer, elle semblait parfois ailleurs.

Et aujourd'hui, cette fuite. Abdou était dans de beaux draps.

La journée passa rapidement. Abdou et Lucy discutèrent longtemps de leur situation et de James. Celui-ci se réveilla bientôt, et Lucy dut jouer avec lui, l'emmener au parc et lui donner à manger — sans parler de changer ses couches. James mangeait, mais le lait de sa mère restait son aliment principal, et ce n'est que dans ses bras qu'il pouvait s'endormir, ce qu'il fit de nouveau peu après souper.

Tout en se préparant du mieux qu'il pouvait pour sa participation au congrès dans le bureau standard du logement qu'il occupait, Abdou se familiarisait avec son nouveau corps. Il passa un certain temps devant le miroir, se regardant avec une fascination proprement sexuelle, mais aussi un malaise certain, sinon de la colère. Il se prit à sourire devant le miroir, à manipuler ses seins, qu'il trouvait très lourds et gonflés, à passer ses mains autour de ses hanches et à l'intérieur de ses cuisses, à prendre des poses aguichantes, activités qui se terminaient toujours avec un soupir bien sonore.

Son communicateur se manifestait parfois, mais il n'avait pas envie de répondre aux quelques personnes qui connaissaient Abdou professionnellement et qui s'informaient de son arrivée au congrès. Comment pourrait-il paraitre devant eux dans un tel état? Quelle honte ce serait! Et pourtant, le congrès commencerait dans trois jours, et il avait déjà programmé certaines rencontres informelles. Des rencontres importantes pour sa carrière!

Il pensait à tout cela en allaitant James pour la dernière fois de la journée. Lucy devrait bientôt partir dormir chez elle. Edward avait manifesté son énorme surprise, et avait aussi ajouté qu'il s'était informé de la situation et qu'il coucherait cette nuit chez une amie. Et si la vraie Janie devait être jalouse, eh bien, qu'elle le soit!

Après que James fut endormi, Abdou tombait lui aussi de sommeil. Il se mit toute nue — on ne portait ni de chemise de nuit ni pyjama dans la Tore — et se glissa sous le drap. James se blottit contre sa mère, qui se sentit malgré tout étrangement bien de sentir ce contact.


À suivre